Un nouvel héros sort de l'oubli... Quelle émotion.
Pierre CARTELET a été identifié grâce à l'ADN.
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LA DEPECHEL'identité retrouvée du Résistant inconnu
Publié le 20/09/2014
Les SS obligés par les Alliés à porter les corps des résistants fusillés dans le bois de la Reulle
Le matin du 27 juin 1944. Des camions allemands bâchés traversent le village de Castelmaurou, au nord de Toulouse. Effrayés, des habitants rentrent chez eux. Le «Mal» est dans ce convoi qui s'engouffre maintenant dans le bois de la Reulle, tout près de là. Peu après, tuant d'abord le silence de la campagne, les mitraillettes retentissent. En plusieurs salves. Trois mois plus tard, poussés par des rumeurs sordides que renforcent des paroles entendues dans la bouche de soldats SS ivres, des habitants pénètrent les lieux. Ils y découvrent l'horreur. Sous des monticules de terre, des corps à peine enfouis. Quinze au total. Dix seront identifiés facilement. Tous sont des résistants, qui après avoir creusé leur tombe, ont été fusillés. Assassinés, plutôt, par des barbares, les hommes du lieutenant SS Anton Philip. Mais qui sont les cinq autres morts… ?
Il aura fallu près de soixante-dix ans pour que le mystère soit en partie levé, après le long travail effectué par le Groupe de recherche des fusillés du bois La Reulle, une association réunissant des femmes et des hommes de Castelmaurou et Gragnague, dans le nord-est toulousain. Et ces jours-ci, c'est un nouveau combat contre l'oubli que l'équipe vient de remporter. Un autre résistant jusqu'alors inconnu, a été identifié. Il s'agit de Pierre Cartelet, lui aussi abattu dans le bois maudit. Né dans les Ardennes, l'ancien instituteur était responsable, en 1940, des compagnons de France à Tuhir, Perpignan, Vernet et Prada. Il avait organisé le réseau Alliance (lire ci-contre).
L'ADN au cœur de l'enquête
Victime tombée sous les balles de la honte, Pierre Cartelet comptait jusqu'à cet été parmi les trois derniers corps sans nom enterrés à Castelmaurou, des âmes perdues devenues au fil des ans une des raisons de vivre du groupe d'historiens. Mais patience et acharnement finissent toujours par payer. En 2012, le groupe identifie l'aviateur Charley de Hepcée et, l'an dernier, Marcel Joyeux, bras droit de Ravanel (lire encadré).
Les deux résistants retrouvaient ainsi leur nom confirmé par une technique toujours plus performante et plus pointue : l'analyse de l'ADN. C'est précisément ce procédé qui, une nouvelle fois, a permis de valider l'identité de Pierre Cartelet.
Avant, il aura cependant fallu éplucher les pages parfois confuses, souvent sombres, des nombreux récits relatant l'épopée de ces hommes de l'ombre devenus architectes de nos libertés. Mais le travail de fourmis réalisé à travers les méandres de l'histoire et son interprétation parfois inexacte, ses pièges aussi, a conduit à un double succès. Les couloirs du temps empruntés par les enquêteurs leur ont également permis de lever le voile sur des mystères qu'on avait fini par écarter faute d'indices suffisants. «C'est le cas pour Pierre Cartelet. Il est mort au moins cinq fois, en divers endroits ! Depuis Perpignan jusqu'à Lyon. C'est là qu'on mesure l'immense travail fait par le groupe», explique Georges Muratet, président de l'association.
La piste du neveu
Des mois entiers seront consacrés à cette quête. Pendant que l'un recherche les liens familiaux, des contacts, l'autre fait des courriers, consulte des livres, des lettres, recueille diverses informations… Il faut tout éplucher, imaginer des scénarios, comparer des témoignages d'époque souvent difficiles à déchiffrer.
La démarche est chaque fois la même, passionnante, mais laborieuse. Et pour remonter jusqu'à Pierre Cartelet, rien n'est facile ! «Il n'existe pas d'actes de décès. Aucun des cimetières des villes où son nom est apparu ne confirmait sa présence. En revanche, plusieurs hypothèses laissaient penser qu'il avait été fusillé en même temps que le colonel Guillaut et le lieutenant Prunéta. Mais on avait quand même un nom. Il restait à le vérifier…», confie Georges Muratet.
L'identification par l'ADN. C'est la dernière étape de la recherche. Là encore, c'est le parcours du combattant. Pour vérifier l'identité de Pierre Cartelet, il faut remonter dans sa famille. Or, de celle-ci, il ne reste aujourd'hui plus, ou presque personne. «Ses parents sont décédés, ainsi que son frère et sa sœur. René Durand a eu l'idée de l'arbre généalogique qui nous a sortis de l'ombre et ouvert des portes…», dit le président de l'association.
L'équipe fait alors une ultime découverte. Un neveu de Pierre Cartelet est toujours en vie ! Jean-Louis Pilon, est contacté, chez lui, à Sedan. Il accepte aussitôt de travailler avec le groupe haut-garonnais. Il livre alors ses prélèvements de salive destinés à la comparaison avec le défunt. L'épilogue de la longue enquête est à ce moment-là déjà écrit. Le procureur de la République, en liaison avec la famille mais aussi l'institut médico-légal de Strasbourg, confirme à l'équipe ce qu'elle attend depuis si longtemps : le corps est bien celui qu'ils pensaient. Pierre Cartelet était malheureusement dans le funeste convoi, ce 27 juin 1944.
Son nom sera bientôt inscrit dans le marbre, sur la longue liste des martyrs de La Reulle. Mais surtout, le voilà qui s'apprête à recevoir des funérailles, enfin, à Castelmaurou, où sa famille a souhaité qu'il repose pour toujours. Cela fait treize corps identifiés. Dans le petit caveau du village, deux résistants restent donc toujours inconnus. La tragédie des fusillés de La Reulle n'a pas encore révélé tous ses secrets.
«Mon oncle avec un O majuscule»
Nous avons joint, à son domicile ardennais de Sedan, Jean-Louis Pilon, le neveu de Pierre Cartelet. Pour ce membre de la famille du résistant, l'annonce de l'identification de son oncle a été «plus qu'une grande émotion. Nous parlions peu de lui parce qu'il s'agissait d'un drame pour la famille. Mais sa photo était partout chez mes parents. Pour nous, il était mort soit à Perpignan, soit à Toulouse. Certes, je ne pouvais évoquer son nom à ma mère qui fondait en larmes aussitôt. Mais je l'admirais. Jeune, je me suis même rapproché de résistants de ma région pour essayer d'avoir une image plus nette de lui. Je me l'imaginais comme eux. C'était mon oncle Pierre avec un «O» majuscule ! Mais c'est presque plus encore le travail du groupe de recherche que je salue ici. Nous avons pensé qu'il serait mieux que mon oncle Pierre soit inhumé à Castelmaurou, avec ses amis de combat. Il vivait plus dans votre région que dans la mienne. L'hommage lui rendu bientôt…»
Repères
Pierre Cartelet
Georges Muratet présente ainsi Pierre Cartelet : «Il est né le 26 janvier 1912 à Taillette par Rocroi dans les Ardennes. Il était instituteur à Mézières, également dans les Ardennes. Prisonnier de guerre évadé du Stalag, il est ensuite enrôlé dans les compagnons de France puis nommé chef départemental à Perpignan. Il organisa également une filière de passage clandestin avec Charles Blanc, Louis Mahé de Boislandelle. Traqué par la gestapo, il a dû rejoindre Toulouse où il a été arrêté le 11 mai 1944.Transféré à la prison Saint-Michel, à Toulouse,il fait ensuite partie du tristement célèbre convoi de La Reulle.
Marcel Joyeux
En 2013, toujours grâce à l'analyse d'ADN, le capitaine de l'armée de l'air française Marcel Joyeux a été identifié. Son fils, Jean Pierre, était convaincu qu'il avait péri en déportation. Son retour dans son fief en Poitou à Jaunay le Clan a donné lieu à une cérémonie émouvante. Depuis, les deux familles ont rejoint le groupe de recherches et lui apportent leur soutien et leur concours.
Charley de Hepcée
En 2012, grâce aussi à la ténacité d ‘une famille belge recherchant le père disparu pour fait de résistance, le premier inconnu des cinq fusillés du bois de la Reulle a pu retrouver son identité. Il s'agit du major de l'armée de l'air belge Charley de Hepcée.
Les restes du corps ont été rapatriés au village de Halloy. Son retour dans sa terre natale, le 24 juillet 2012 a été l'objet d'une cérémonie et hommage national en présence du représentant du roi et de membres du groupe de recherches.